Ambre ne parle pas beaucoup.
Je l’ai remarqué dès le premier jour. Son regard fuit parfois, comme si elle cherchait une issue invisible, une porte dérobée pour s’échapper de l’instant. Elle sourit, mais c’est souvent un sourire de politesse, celui qu’on offre quand on ne sait pas quoi faire d’autre.
Elle est là sans être là.
Ça ne devrait pas me perturber autant. Après tout, des filles discrètes, j’en ai connu plein. À l’Académie, on est entourés de voix fortes, d’énergies brutes qui réclament l’attention. Ceux qui se font petits finissent souvent par disparaître.
Mais Ambre, elle, ne disparaît pas. Elle flotte.
Elle est assise sur son lit, un carnet entre les mains, à gratter des mots dans le silence. Je la regarde à la dérobée, feignant de lire un manuel de technique vocale. La lumière tamisée de la lampe de chevet accentue les ombres sous ses yeux. Elle dort mal, c’est évident.
J’ai envie de lui demander.
Pourquoi elle ne parle pas de son passé. Pourquoi elle évite certains sujets avec une précision chirurgicale. Pourquoi son regard se voile parfois, comme si un souvenir la happait ailleurs.
Je pourrais poser la question, mais je sais déjà ce qui se passerait.
Un haussement d’épaules. Une esquive. Un silence gênant.
Je n’aime pas forcer les choses. Je me suis promis de la laisser venir à son rythme, de ne pas l’accabler avec des questions qu’elle n’a pas envie d’entendre. Mais ça ne veut pas dire que je ne vois pas.
Je vois les petits tressaillements de sa main quand elle écrit trop vite.
Je vois la manière dont elle scanne les gens autour d’elle, toujours sur le qui-vive.
Je vois le mur qu’elle a érigé, solide, impénétrable.
Et ça me frustre.
Parce que je sais qu’en-dessous, il y a autre chose.
Quelque chose d’abîmé, peut-être. Mais aussi quelque chose de beau.
Je ferme mon livre dans un soupir. Ambre ne relève même pas la tête. Elle est absorbée dans son monde, là où je n’ai pas encore le droit d’entrer.
Mais un jour, elle me laissera passer.
Et ce jour-là, je serai prête à devenir son alliée.
