fbpx

Valhalla Keepers – 4. Absolution – Chapitre 2

Tu n’as pas encore lu le chapitre 1 ? C’est par ici !

Tout ce que je sais, c’est que je serre mes bras de toutes mes forces autour d’elle et que je supplie d’éventuelles divinités de nous sauver tous les deux. Mon élan nous fait glisser sur le manteau blanc glacé et nous emporte plus loin. Je n’ose même pas ouvrir les yeux, de peur de nous découvrir en plein vol.

Cependant, le silence assourdissant qui nous entoure me surprend. On entend juste le vent qui souffle dans des branches sèches. Un sanglot me tire de mon état second, mes paupières affrontent notre destin. Maja est accroupie contre moi, en larmes, le précipice nous nargue à quelques centimètres. 

— Haakon, halète Iris, une main tendue vers nous, implorante. Éloigne-toi du vide, pitié…

Durant de brèves microsecondes, je m’arrache à son regard émeraude alarmé et observe l’abîme mortel auquel nous venons d’échapper. J’inspire un grand coup, me redresse doucement et soulève la fillette en même temps. Je la hisse dans mes bras, elle ne se débat pas. Bien au contraire, elle réfugie son minois au creux de mon épaule, son souffle réchauffe ma peau gelée par l’hiver. Ses bras entourent mon cou, comme s’ils s’apprêtaient à ne plus jamais me lâcher. Je me ressaisis, bien qu’ému par ce lien étrange, et me rapproche de la Française. Iris me fixe, interdite, le visage marqué par la peur, les yeux embués de larmes. L’instant d’après, elle se rue sur nous et nous entoure de ses bras, en laissant éclater des pleurs de soulagement. J’embrasse ses cheveux roux et inspire à pleins poumons son parfum.

Moi aussi, j’ai eu peur. Peur de voir cette enfant mourir, peur de l’accompagner. Peur de quitter Iris.

La situation est surréaliste ce soir. 

Jamais je n’aurais pensé ce trio possible, et pourtant, nous sommes là, réunis. Nos routes n’étaient sans doute pas supposées se croiser, ou bien peut-être que si.

Sommes-nous des pions sur un échiquier géant ? Je préfère me dire que non.

— Rentrons, murmuré-je, avec tout l’aplomb que je parviens à puiser en moi au vu des circonstances.

Nous reprenons doucement le chemin de la gare. Je prends soin de ne pas déraper, mes bras noués sous Maja pour la maintenir contre moi. Elle ne prononce pas le moindre mot, Iris non plus.

Sur le quai, les deux hommes nous observent, médusés. Très vite, un sourire soulagé se dessine sur leurs visages. Je ne le leur rends pas.

— Oh, merci, s’écrie le premier au crâne lisse. Vous l’avez retrouvée.

Je sens illico la poigne de la fillette se serrer sur mon cuir.

— On va la raccompagner, m’assure le second.

Maja se crispe plus encore.

— On va s’en charger, décrète Iris, sans doute réceptrice de la peur qui émane de l’enfant.

— … d’accord, approuve l’un d’eux, après s’être confronté à la détermination qui fige mes traits. Je préviens Victoria.

— Faites donc, réponds-je en leur faussant compagnie.

On rejoint le van en silence. Je dépose Maja à l’arrière, mais elle baisse le visage. Je le lui relève de l’index.

— Ça va aller.

— Non, contre-t-elle.

— Je vais parler à la directrice.

Comme seule réponse, elle me décoche un sourire triste et ironique, et mon cœur redevient celui d’un môme fragile.

Iris et moi échangeons un bref regard lorsque je claque la portière, puis nous grimpons dans le véhicule. Je mets le contact et je perçois les coups d’œil hasardeux qu’elle me lance, signe qu’elle cherche à me dire quelque chose sans trouver la formulation adéquate. Pourtant, ce n’est pas son genre de prendre des gants. Preuve qu’elle a perçu l’ampleur des enjeux émotionnels qui me tiraillent. 

— Quoi ? m’impatienté-je.

— Ils n’y étaient pour rien, eux.

Sujet tendu. 

— S’ils avaient été plus attentifs, jamais elle n’aurait pu s’enfuir. La sécurité des gosses repose sur la responsabilité de tous les employés. Eux, les autres, du pareil au même.

En d’autres circonstances, j’aurais sans doute admis qu’elle avait en partie raison, mais j’ai eu bien trop peur de la perdre pour me montrer neutre.

— Laisse-moi le temps de tout digérer, chuchoté-je en lui adressant un regard entendu, plus tendre, cette fois.

Ma Française capte sans mal mon trouble et hoche la tête avant de poser une main sur ma cuisse. 

Le trajet se poursuit dans le silence total. On rejoint le centre en quelques minutes. Quand je coupe le moteur, je prends quelques secondes pour observer Maja dans le rétroviseur. Elle me fixe en retour. Je lis sans mal la panique, la colère et la tristesse dans ses prunelles noires. Je sais que ce que je m’apprête à faire reste la meilleure solution pour elle. Alors pourquoi cette foutue culpabilité me ronge-t-elle jusqu’à la moelle ? Parce que je sais.

Je sais ce qu’elle éprouve.

Je sais à quel point c’est difficile, qu’aucun gamin ne devrait connaître ce qu’elle traverse… jamais.

Je sais qu’elle m’en veut déjà de l’abandonner, comme j’en ai longtemps voulu à Storm de ne pas me garder à ses côtés. Et pour les mêmes raisons que lui à l’époque, ma route et celle de Maja doivent se séparer, maintenant.

Cest le mieux pour elle.

Je me racle la gorge, cherche un soupçon de courage pour enfiler mon costume d’adulte et agir avec bon sens, en dépit de tous les doutes qui me hurlent de réfléchir.

Et puis je descends, quitte le van et vais ouvrir la portière de la fillette. Elle fuit mon regard, désormais, renfermée comme une huître. Je ne suis pas certain que cela me rende les choses plus faciles. Une part de moi refuse de la quitter sur ces non-dits. L’autre m’assure qu’au moins, si je n’affronte pas ses yeux embués suppliants, je tiendrai le coup. 

Je nai pas dautre choix.

Elle descend, résignée, telle une ombre. De nouveau, le regard d’Iris me garantit que je ne suis pas seul dans cette épreuve, et cet appui vaut tout l’or du monde.

On regagne le centre, où Victoria débarque à la hâte, un sourire soulagé sur les joues, visiblement très émue de retrouver ma protégée. Elle fonce sur elle et étreint la gamine ne bouge pas d’un cil, les bras tendus le long du corps.

— On doit se parler.

Ma remarque jette un froid. La grande brune me scrute, inquiète. Iris prend le relais en posant une main réconfortante sur l’épaule de Maja, tandis que nous nous éloignons. Je fixe la nuit qui engloutit la ville et souffle un bon coup pour évacuer le trop-plein.

— Merci de l’avoir retrouvée, Haakon, commence-t-elle.

Je la coupe aussitôt.

— Stop. Je vous l’ai confiée parce que je la pensais en sécurité ici.

Ma voix ne s’envole pas, malgré tout, un grondement se ressent dans mes mots, lourds de reproches.

— Haakon, on ne peut pas suivre les gamins individuellement toute la journée…

— Eh bien fais en sorte de la surveiller, elle. Tu m’avais averti de ses difficultés… raison de plus pour la garder à l’œil.

— Oui… Les filles lui font bien des misères…

— Comme quoi ?

— Hier, on… 

Elle hésite. Mon regard furieux l’incite à passer aux aveux.

— On l’a retrouvée trempée dans un des toilettes. Elles lui ont fait croire qu’elles allaient la noyer…

Je manque de m’étouffer. Victoria se tend une seconde, sans doute apeurée par la bête qui s’éveille au fond de mes tripes et qui hurle dans mes yeux.

— Elle a tenté de s’entailler un poignet.

Le coup de trop. Je me passe une main nerveuse dans les cheveux, abasourdi. Les gamins étaient durs entre eux à mon époque, mais aujourd’hui, sont-ils devenus des monstres ?

— Mais putain, vous foutez quoi ?! m’emporté-je.

Ma raison m’intime de rester factuel, de maîtriser ma colère, mais cela devient de plus en plus compliqué. Iris décide de partir plus loin avec Maja pour lui épargner la scène qui va suivre.

— Haakon, ce n’est pas si simple, nous sommes en sous-effectif, tu le sais. Plusieurs fois, j’ai demandé à ton oncle d’augmenter le budget pour que nous embauchions…

— Je ne suis pas mon oncle, tonné-je. Si je vous confie cette gamine, c’est parce qu’elle est seule au monde, qu’elle a besoin d’aide. Elle a perdu son père dans d’horribles circonstances, d’accord ? Elle doit se reconstruire. Elle est déjà détruite. 

Victoria opine du chef, désolée, sincère.

— On fait de notre mieux.

— Faites plus que ça, insisté-je. Sa survie en dépend.

Je sais qu’elle a conscience de tout ceci, mais le cas de Maja m’affecte bien trop pour que je me dispense de jouer cartes sur table.

— Je t’assure qu’on va en prendre soin. Autant que possible.

— Qui sont ces gamines ? demandé-je à la hâte.

— Pardon ?

— Je veux voir celles qui la harcèlent.

— Non, je ne pense pas que…

Cette fois, je sens que je lui fais peur. 

— Je vais juste leur parler, quelqu’un doit leur expliquer.

— Je ne suis pas certaine qu’intervenir aidera Maja, au contraire, il risque d’y avoir des représailles…

— Donc c’est comme ça que vous traitez les cas de harcèlement, ici ? En fermant les yeux et en devenant complices de cette merde ?

— Haakon…

Je soupire, la toise de toute mon âme, écœuré par l’absence d’une autorité dont les gamins ont tant besoin, ne serait-ce que pour se protéger d’eux-mêmes, parole d’un môme qui en a manqué.

Soudain, une furie débarque et se rue vers moi. Maja entoure ma taille de ses bras et me regarde d’un air suppliant.

— Je t’en supplie, ne me laisse pas ici. 

Iris arrive après elle, désolée pour l’imprévu dont je me serais bien passé. À croire que cette môme aime faire courir les adultes. 

Je m’accroupis, pose mes mains sur ses frêles épaules et plonge mes yeux dans les siens.

— Maja, ma vie n’est pas faite pour un enfant… tu comprends ?

— Pitié, Haakon. Si je reste, elles vont continuer. 

— Non, parce qu’on va leur expliquer.

— Elles se vengeront.

— Pas si c’est moi qui leur parle, crois-moi.

Elle hésite, semble perdue.

— Il est tard, commente Victoria, elles sont déjà couchées…

J’observe Iris, qui nous contemple en silence. 

— Peut-être que ce soir, exceptionnellement, on peut s’occuper de Maja…, suggère Iris.

Je n’osais même pas l’envisager. La petite saute sur l’occasion, une lueur nouvelle dans les yeux.

— Impossible, avec le club…

— Juste un soir, me supplie la môme, comme si on venait de la raccrocher à la vie.

C’est assez pour me décider. Même si je sais qu’il ne s’agit que de reculer pour mieux sauter, je ne trouve pas la force de lui refuser cela. Pas après l’avoir vue prête à mourir pour fuir cet endroit.

— Maja va rentrer avec nous, le temps de se remettre des événements.

Inutile de dire que je ne sais même pas comment je vais gérer le problème avec Storm et le boulot. Victoria reste dubitative.

— L’assistante sociale risque de passer rapidement.

— Pas si tu passes cette fugue sous silence, réponds-je d’un air entendu.

La directrice du centre se tait, muette face à ma manière de gérer la situation. Elle ne me contredira pas, elle a trop bien conscience que le club lui permet d’avoir cette place.

— S’il lui arrive quoi que ce soit, je ne me le pardonnerai pas, souffle la quinquagénaire, sans faux-semblant.

— Nous sommes deux, dans ce cas. Raison de plus pour être aux aguets dès son retour.

Je clos ainsi la discussion. Elle ne tente pas de me dissuader. 

La fillette m’étreint avec soulagement, avant de glisser ses doigts fins au creux de ma paume rugueuse.

Je déglutis, peu habitué à me sentir à ce point bouleversé par des gosses. 

Elle, c’est différent.

Iris pose une main sur mon cuir et m’adresse un regard rempli d’amour, et un étrange sentiment de plénitude me gagne. Suis-je encore le même qu’hier ? J’en doute. L’inconnu m’effraie mais n’a pas demandé mon avis avant de forcer la porte.


Découvrir le chapitre 3