Tu n’as pas encore lu le chapitre 2 ? C’est par ici !
Je ne sais pas ce qui nous attend.
Cette soirée est un saut vers l’inconnu, à un niveau bien plus élevé que tous ceux que nous avons déjà effectués ensemble, Haakon et moi. Maja s’endort durant le trajet retour. Ma main ne lâche pas la cuisse du conducteur, autant pour le rassurer sur mon soutien que pour me rassurer, moi, sur ce qu’il va advenir. Une part de moi se dit que tant que l’on est ensemble, on peut tout affronter. C’est sans doute un peu niais, mais peu importe, chaque cellule de mon corps irradie de cette vérité.
— Tu vas devoir en parler à Storm, murmuré-je, perdue dans mes pensées.
Haakon ne dit rien, le regard rivé sur la route devant lui. Je caresse son jean du pouce, consciente qu’il tente de rester à la surface du torrent d’émotions qui se battent en lui.
Il se gare devant l’immeuble et récupère Maja à l’arrière. C’est à peine si elle entrouvre les yeux lorsqu’il la hisse dans ses bras. La facilité avec laquelle elle lui a accordé sa confiance me sidère. Quand on sait ce que cette fillette a traversé, c’est juste incroyable. Et pourtant, ces deux-là semblent se connaître d’une autre vie. Je conçois sans mal le lien que Haakon établit entre son parcours et le sien, à quel point ces similitudes les rapprochent, parce que peu de gens sur cette terre peuvent comprendre la douleur qui les ronge. C’est un peu comme si deux âmes s’étaient retrouvées après s’être cherchées durant des années. C’est beau. Nous rejoignons l’appartement, et il la dépose sur le matelas une place que nous partagions au début, désormais disposé dans une chambre d’amis pas encore meublée.
Maja miaule quand le grand blond glisse son oreiller sous sa tête puis la recouvre d’une couverture qu’il a récupérée au salon. La petite fille retrouve le sommeil, comme si tout était normal. Je suis l’observatrice de ce spectacle curieux. On a l’impression que de se savoir près de lui suffit à la calmer. Quelques secondes plus tard, elle est déjà plongée dans un profond sommeil. Je suis accoudée sur le chambranle de la porte, silencieuse, et mon Viking revient vers moi, le regard perdu. Il pose une main sur mon avant-bras et nous entraîne à l’extérieur sans un bruit avant de fermer la porte.
Alors seulement, il soupire, comme pour expulser un trop-plein de tension. Je l’imite. Cette soirée a viré au cauchemar. Par chance, l’issue a été favorable.
— Je…
Sa phrase meurt dans sa bouche. Je le sens à la dérive, incapable pour le moment de tirer ses idées au clair, ce qui ne lui ressemble pas. Touchée, je le rejoins et me love dans ses bras.
— Tu lui as sauvé la vie, ce soir. C’est tout ce que tu as besoin de savoir pour le moment.
C’est oublier qu’en dépit des apparences, Haakon reste un cérébral, sans cesse submergé de questionnements internes. C’est fou comme l’eau calme des fjords peut cacher des mystères.
— Elle aurait recommencé, décrète-t-il, la mâchoire serrée, ses yeux ancrés dans les miens, comme dans l’attente d’une confirmation.
J’opine du chef, consciente, moi aussi, de cette réalité. Quelques années plus tôt, j’aurais fui en courant bien avant que tout cela n’arrive. Dès ma prise en otage, sans nul doute. Je change au contact des Keepers, je le réalise un peu plus chaque jour. Je ne suis plus une gamine apeurée, je deviens une femme capable de choisir sa vie. Il n’y a ni bien ni mal, il n’y a que des nuances dans lesquelles chacun se plaît à imaginer sa propre réalité. La mienne compose avec Haakon à mes côtés. Si cette fillette doit se faire une place dans notre décor instable d’une quelconque façon, je suis prête à m’adapter.
— Elle te fait confiance.
Il rit, sans joie.
— J’aurais préféré qu’elle jette son dévolu sur un employé du centre…
— Tu sais très bien que ce n’est pas la même chose. Il y a toi, et il y a les autres. À ses yeux, tu es l’unique personne capable de comprendre ce qu’elle traverse. Et ce que tu lui as confié ce soir sur ta vie n’a sans doute fait que renforcer ce lien qui vous unit.
Haakon grimace, l’air pensif.
— Elle a besoin d’être prise en charge par des gens bien.
— Ce que tu es.
— Tu n’es pas neutre, plaisante-t-il en souriant.
Je le rejoins sur ce point.
— J’entendais par-là, quelqu’un qui mène une vie « normale ».
— Pas une vie de biker, comprends-je sans mal.
Il opine du chef, le regard rivé sur la nuit qui transparaît par la baie vitrée.
— Je ne sais même pas ce que je vais dire à Storm.
— Te peux toujours te faire porter pâle ? suggéré-je.
— Il m’a déjà vu me pointer au club malade comme un chien plus d’une fois, il ne me croira pas.
— Dans ce cas, dis-lui la vérité.
Mon conseil s’est insinué entre mes lèvres sans réflexion préalable. C’est l’effet que me font nos discussions avec Haakon. Le naturel l’emporte toujours sur la préméditation. Sa propre franchise impose une réciprocité à ses interlocuteurs. C’est comme un don.
Il caresse mon visage, contemple mes yeux avec une lenteur insupportable, dépose un tendre baiser sur mes lèvres.
— Merci d’être ma Robin.
Je ne comprends pas.
— Ta… quoi ?
— Ma Robin. L’alliée infaillible de Batman…
— Et donc, tu es Batman ? demandé-je sur le point d’exploser de rire.
— J’aime bien le croire.
Cette fois on se marre comme deux gosses. Ce retour à la simplicité agit comme un vrai déversoir après les tensions vécues ce soir. Nos corps se relâchent au rythme de nos rires, notre esprit se détend, et que c’est bon de le voir plus léger…
On s’éloigne de la porte pour éviter de réveiller Maja. Je suis désolée de rompre la frivolité ambiante, mais j’ai à cœur de l’aider dans ses choix, autant que je le peux.
— La situation reste risquée… une mineure au passé flou planquée chez toi… mieux vaut intégrer Storm dans la boucle, juste au cas où…
— Tu as raison, conclut-il, plus sérieux. Je me méfie des services sociaux, et tout autant de certains employés du centre.
Après une minute de silence, il finit par trancher.
— Je lui parlerai demain. Il ne va pas aimer.
— Comme beaucoup de tes choix, le taquiné-je. Mais il tient à toi, il voudra t’aider.
Haakon hoche la tête, conscient de cette vérité.
Le regard perdu dans les ténèbres, il semble réévaluer de tout ce qu’il s’est passé ce soir.
— Tu ferais un merveilleux papa, Haakon.
C’est sorti tout seul, une fois encore. Seulement, je ne peux pas rester insensible face à l’instinct protecteur qu’il déploie envers cette enfant quand tant d’autres l’auraient laissée dans sa misère.
Il peine à avaler sa salive.
— Non. Je ne serai jamais un père. Ma vie n’est pas faite pour les enfants.
— Pour le moment, c’est vrai, mais qui sait…
Ma phrase sème la zizanie dans ses pensées quelques secondes.
— Les Keepers, c’est à vie.
— Et ton choix sera toujours le bon. Je te dis simplement ce que je pense. Quand je te vois avec Maja, c’est ce qui me vient.
Nouveau silence.
— Ne t’en fais pas, je ne te demande pas de fonder une famille. Tu sais, on n’en a jamais parlé, parce que c’est encore tôt pour avoir ce genre de discussion, mais je préfère être honnête avec toi. Je ne peux pas tomber enceinte.
Il me dévisage, perplexe.
— Plus jeune, j’ai eu des complications médicales qui m’ont valu une opération…
Il semble interdit, navré, aussi.
— Je suis désolé…
— Non, ça va, j’ai fait mon deuil il y a longtemps, même si, parfois, j’y pense encore. Mais… je tenais à être franche avec toi sur ce point. Tu sembles avoir un instinct paternel incroyable et tu mérites de connaître cette vérité.
Je ne serai jamais celle qui empêchera un homme désirant être père de le devenir. Je connais l’importance de ce souhait quand il vous habite, je l’ai vécu par procuration de nombreuses fois via mes amis.
Soudain, deux bras entourent ma taille et me donnent l’impression de me noyer dans un refuge d’une tendresse inouïe. Ses yeux clairs affrontent les miens dans la pénombre.
— Je ne veux pas être père, Iris. Je veux juste profiter de la vie. La dévorer, même. Et j’aimerais beaucoup que tu restes à mes côtés pour que la fête soit complète.
— Bien reçu, Batman.
Son sourire encanaillé me réchauffe le cœur. Dans ma tête, une petite voix me murmure : Maintenant oui, mais qu’en sera-t-il dans cinq ans ? Je la fais taire et me convaincs que la suggestion d’Haakon reste la meilleure. Vivre au jour le jour.
— Tu sais quel est le plus grand défi de Batman ? demande-t-il.
— Non, mais je sens que tu vas me le dire.
— Deviner ce qui se trame dans la tête de Robin.
— Eh bien, minaudé-je, peut-être bien que Robin est tellement fatiguée qu’elle rêve de tomber inerte… ou peut-être bien qu’elle a tellement eu peur de perdre son coéquipier ce soir, qu’elle éprouve un besoin vital de le sentir tout contre elle. Nu, de préférence…
Il ne me laisse pas finir et m’embrasse à pleine bouche, avec une passion qui me cloue sur place, juste avant qu’il ne fauche mes jambes pour m’entraîner vers notre repère de super-héros.
… Rendez-vous dans une semaine pour découvrir le chapitre 4 !
Et n’hésite pas à me donner ton ressenti sur la BPM Family Place !