Tu as manqué le prologue la semaine dernière ? Par ici.

Louve

Le parfum terreux de la forêt chatouille mes narines. 

Je suis dans mon élément. 

Celui qui me permet d’être enfin moi-même, dans toute mon intégralité.

Je n’ai plus à me cacher du regard des autres, à feindre d’être comme tout le monde. 
Ici, à l’abri du sous-bois, mon instinct primaire s’agite et se délecte de cette prise de contrôle pendant une heure ou deux. C’est toujours une libération lorsque je lâche prise, que mon mental se tait enfin pour laisser ma véritable nature prendre le relais. 

J’évolue entre les arbres, hume les empreintes olfactives qui jonchent mon chemin. Ce que j’aime le plus dans cet état, c’est la possibilité d’aborder le monde d’un regard nouveau. 

Une partie de moi reste bien présente, mais à cela s’ajoutent les ressentis de l’animal que j’incarne. Ses sens deviennent les miens, ses capacités m’appartiennent, le temps de la mutation. C’est un sentiment étrange et grisant que d’être deux choses à la fois. Deux êtres différents qui se complètent pour former une entité nouvelle, unique en son genre, et qui pourtant, passe inaperçue aux yeux de tous.

Je profite du halo de la lune qui éclaire mon chemin entre les grands arbres. Le bruissement des feuilles sous mes pas accompagne mon avancée dans les ténèbres. La douce sensation d’un retour aux sources m’étreint. 

Ce soir, je suis cette biche aperçue plus tôt à l’orée du bois. 

Je suis son pelage brun-roux, je suis ses naseaux frémissants, je suis ses membres délicats, je suis sa démarche élégante, je suis indomptable et rapide comme elle.

Une clairière que je connais bien se dessine devant moi. J’y retrouve des parfums que mon odorat capte aussitôt. Le flair de celle que je suis devenue ne s’y trompe pas. Ces herbes fraîches et humides sont de véritables appâts et je n’y résiste pas.

La nuit est paisible, une chouette ulule non loin de là. La nature suit son cours dans ce bout de verdure et tout autour. 

J’entends le vent chanter dans les cimes, il me suffit de tendre l’oreille pour me faire une idée du moindre mouvement en approche. Cela ne m’empêche pas pour autant de me délecter des fleurs tendres qui chatouillent mon museau. Je me sens en confiance, dans mon élément…

Trop, peut-être.

Je n’ai pas le temps de réagir que quelque chose bondit sur moi. J’entends un grognement et tente de fuir, mais je manque de rapidité et mon agresseur attrape une de mes pattes dans ses crocs et me plaque au sol. Je me retourne vers le loup gris qui me toise, la bave aux lèvres et bien décidé à me transformer en repas. Je sais que, bientôt, d’autres arriveront. Ils ne chassent jamais seuls… Je me débats tant bien que mal, me tortille pour lui échapper, mais n’y parviens pas. Lui s’avance au-dessus de moi, prêt à m’ôter la vie. La situation me dépasse. Mon instinct de survie s’agite et, par réflexe, je mute pour retrouver mon apparence humaine. La transformation opère en quelques minutes seulement. Ma chair velue laisse de nouveau place à ma peau de femme. Ma silhouette évolue, mon squelette craque et se fond en un autre. 

La surprise est de taille pour mon agresseur, pourtant sur le point de me dévorer. Il s’arrête net. Ses pupilles s’écarquillent, ses grognements s’interrompent. Je comprends sa stupeur, mais pourquoi observerait-il une différence entre une biche et une humaine s’il a faim et que je suis piégée ?

Quelque chose ne tourne pas rond.

Il ne me faut que quelques instants pour comprendre ce qu’il se trame. Une chaleur étonnante émane de la bête qui m’observe, une étincelle nouvelle dans le regard. Son corps poilu et tiède semble bouger contre le mien, me faisant l’effet d’un millier de micro-pulsations.

C’est alors que son apparence change. De la même manière que j’ai retrouvé ma forme initiale, j’observe la transformation soudaine de ce prédateur.

Ce n’est plus un loup qui me toise, mais un homme. Les traits de son visage se définissent, chacun de ses bras repose autour d’un côté de mes épaules. Seule la lune éclaire son visage, que je devine musclé, carré, orné d’une chevelure brune en pagaille. Son torse bien dessiné porte un tatouage que je peine à discerner.

La situation m’échappe. Je me rends compte que ce prétendu loup ne me dévorera pas sous sa forme humaine. Je comprends également l’étrangeté des circonstances. Nous sommes nus, lui au-dessus de moi. Je gesticule pour me sortir de ce piège tendancieux. Il ne bouge pas et m’examine, sans doute lui aussi sous le choc de ma métamorphose.

Il était sur le point de tuer une humaine…

L’instinct de survie m’anime et me pousse à me débattre davantage, mais sa stature imposante bloque mon passage. Il ne semble pourtant pas chercher à me retenir, mais ne me laisse pas fuir non plus. Il paraît momifié. 

Nos hanches qui s’épousent s’échauffent de mes tentatives d’évasion. Son corps réagit au mien, et je n’y suis pas insensible, à mon grand regret. Ma fierté détale comme nos souffles se caressent, se domptent, se défient. Tout est animal, régi par nos natures profondes.

J’aimerais partir là, maintenant, tout de suite, cependant, une part de moi voudrait rester pour succomber à l’instant. 

Ses yeux sombres accrochent les miens, envahis d’un millier de questions. 

Finalement, il se décale sur le côté et m’ouvre un espoir de fuite.

Je reste une seconde hébétée par le trop-plein d’émotions et me relève d’un bond, emportée par une pudeur nouvelle et une colère surfaite.

Je lui adresse un regard assassin tandis qu’il se rassoit dans l’herbe fraîche, les yeux toujours rivés sur moi.

Il a manqué de me tuer.

Je voudrais lui jeter un seau d’injures, le gifler pour m’avoir ainsi agressée.

Il ne savait pas.

Moi non plus.

Je n’enlève pas pour autant mon masque furieux. Je l’étudie une dernière fois, sans me gêner pour contempler sa nudité, puisqu’il ne prend guère plus de gants en me détaillant. Dans d’autres circonstances, j’aurais pu m’émerveiller de la vision qui s’offre à moi, mais ma fierté m’intime de rester de marbre, et j’y parviens. 

Je soupire, sidérée par cette rencontre inattendue et le soulagement d’être encore vivante. Puis je tourne les talons et déguerpis de cette clairière où un bout de mon âme s’accroche encore, sans que je comprenne pourquoi.

— Attends ! Qui es-tu ?

J’entends le timbre grave de mon agresseur m’interpeller, mais je ne me retourne pas. Son feu ardent de loup ne fera pas fondre mon cœur de glace.

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