Cupidon, c’est moi. Enfin, mon véritable nom, c’est Antoine. Non ce n’est pas une blague de mauvais genre, ni même une méthode de séduction douteuse. Je suis né à Epsilem, lieu savamment gardé secret par les Anges. J’y ai grandi, bercé de douceur par ma nourrice, Ronnie. Je n’avais alors pas encore conscience de la mission que l’on me destinait ! Sur mes frêles épaules repose une lourde responsabilité : permettre aux Humains de trouver l’Amour. Quelle veine ! Moi qui ne supporte pas « ceux d’en bas »…

Et me voici, Antoine, Ange de l’Amour, missionnaire d’un sentiment dont je suis moi-même dépourvu. Pour mon anniversaire, tradition oblige, je dois prendre en charge un humain désespéré. Le peu d’enthousiasme dont je disposais se réduit à néant lorsque je découvre que ma protégée s’avère fatalement malade. Direction la Thaïlande profonde, pays du sourire, pour une course contre la montre qui pourrait bien me réserver quelques surprises !


Ce n’était pas le moment de se dégonfler. Un costume de lin beige taillé sur mesure par Ronnie, et une chemise blanche me servaient d’apparat, me conférant sans nul doute l’air d’un homme d’affaires décontracté. Je déglutis, non sans peine, et fouillai au fond de ma confiance afin d’en extirper quelque chose d’assez solide pour que je puisse m’appuyer dessus. Il fallait que ça fonctionne.

Sans perdre une seconde de plus, je coupai court à toute hésitation, et armé de mon plus beau sourire, traversai la petite cour, évitant les poulets qui s’y promenaient. Une fois face à la porte d’entrée, je toquai avec énergie. Quelques secondes plus tard, Mila apparut dans l’encadrement, une sacoche sur le dos et le regard préoccupé. Ses mèches blondes étaient attachées en un semblant de chignon flou, auquel elle avait une fois encore porté peu d’attention. De la même manière, un vieux jean et un tee-shirt trop ample habillaient sa fine silhouette.

— Bonjour.

De toute évidence, je dérangeais. Aucun sourire n’entrava son visage. Son regard semblait fuyant, tandis que sa main agrippa la bandoulière de sa besace.

— Bonjour Madame. Laissez-moi me présenter, Antoine Jones, dirigeant du site internet Meetaway.

Mila, incrédule, hocha la tête.

— Il s’agit d’un site de rencontres à portée internationale. En fait…

Sans me laisser plus de temps, la jeune femme me coupa net.

— Je ne suis pas intéressée, merci. Je suis pressée.

— Eh bien, moi j’ai le temps, je peux peut-être vous accompagner pour vous expliquer le concept plus en détail…

Le regard noir qu’elle me jeta me refroidit d’un seul coup.

— Non, je ne peux pas, je pars en intervention. Si vous voulez bien m’excuser…

D’un coup d’épaule, elle me fit descendre de la petite marche et se retourna pour refermer sa porte à clé. Sans plus attendre, elle fit demi-tour, m’ignorant complètement, et se dirigea vers son pick-up. Elle grimpa à bord du véhicule rouge et démarra aussitôt. Je courus jusqu’à sa fenêtre et m’appuyai sur la portière du vieux tas de ferraille.

— Je suis à la recherche de jeunes gens vivant dans un pays étranger.

— Je vous l’ai dit, je ne suis pas intéressée par votre site de rencontres.

Elle fulmina.

— Vous n’êtes pas célibataire ?

— Cela ne vous regarde pas !

— Mais si vous l’étiez, que risqueriez-vous à m’écouter quelques minutes ?

— Je vous l’ai dit, je n’ai pas le temps ! Qu’est-ce que vous ne comprenez pas là-dedans ?! Maintenant, poussez-vous, je vais finir par vous écraser…

J’ouvris de grands yeux, stupéfait par la menace proférée. Serait-elle capable de la mettre à exécution ? En temps normal, j’aurais répondu à cette question par la négative, mais au vu de l’état nerveux dans laquelle je venais de réussir à la plonger, soudain, je doutai. Bloqué dans une situation bien délicate, je fouillai au plus profond de moi en quête d’une issue de secours. Pris d’un élan aussi stupide qu’irréfléchi, je courus de l’autre côté du pick-up, sous le regard ahuri de Mila, et grimpai sur le siège passager, claquant au passage la portière mal huilée du véhicule. Cette fois-ci, ses prunelles semblaient hésiter entre crainte et colère.

— Descendez !

Il me fallut faire un effort extraordinaire pour afficher un sourire sympathique à cette furie sans manières.

— Écoutez, laissez-moi le temps du trajet pour vous exposer mon idée. Si cela ne vous plaît pas, vous me laisserez sur le bord du chemin au retour.

Bouche bée, Mila resta sous le choc d’une telle démarche.

— Vous avez un sérieux problème, vous !

Non. Enfin oui, peut-être. Mais là, il s’agissait plutôt de culot. Et dans mon cas, cela pouvait s’avérer être un véritable atout.

— À vrai dire, j’en ai même plusieurs… mais là n’est pas la question.

Cette fois-ci, elle grogna.

— Faut toujours que je tombe sur des cinglés, ce n’est pas croyable !

D’un naturel sans doute déstabilisant, je soufflai juste, amusé :

— Cinglé, non. Particulier, probablement.

Alors que la jeune femme enclenchait la marche arrière, je soupirai de soulagement. Une première victoire. La bataille serait dure.

Le pick-up s’engagea sur le chemin tortueux que les semelles de mes chaussures regrettaient encore, et je réalisai que je ne savais pas le moins du monde où l’on partait.

— Vous m’emmenez où ?

— Dans un parc. Je vais soigner une éléphante.

— Vous êtes vétérinaire ?

— Vous êtes devin ?

OK. À noter : niveau de sympathie proche de zéro.

— Concernant le site, il est tout récent. Je suis en fait à la recherche de mes premiers clients. Pour eux, évidemment, ce sera gratuit, puisque la réussite de leurs rencontres forgera la crédibilité de l’entreprise.

— Je n’utilise quasiment jamais internet. Trop de virus, trop de dangers, trop de… cinglés !

Je réalisai à quel point la tâche s’avérait ardue, mais ne relâchai pas mes efforts pour autant.

— Il ne s’agit pas d’un site de rencontres comme cela existe déjà. Mais plutôt d’une agence matrimoniale sérieuse, avec un encadrement professionnel pour éviter toute dérive.

— Et cet « encadrement professionnel », c’est vous ? lance-t-elle en tournant sur une petite route goudronnée sur la droite. Son ton sentait l’ironie à plein nez.

— Pour l’instant, oui, mais je vais recruter du personnel avec le temps.

— Oh. Et donc, ce que vous cherchez, ce sont les acteurs de votre richesse future ?

— Non. Je suis en quête des premiers célibataires à qui je ferai rencontrer l’amour, afin de rendre crédible ma petite entreprise naissante.

— Pourquoi moi ?

Sa question me prit au dépourvu. Je n’avais pas vraiment eu le temps de réfléchir à ce genre d’argument.

— Je vous demande pardon ?

Ou comment gagner du temps…

— Pourquoi m’avoir choisie, moi ?

— En réalité, je circule au hasard des chemins dans tous les pays du globe. Je suis en Thaïlande pour un mois. Lorsque je croise le chemin de personnes au profil adéquat, je leur parle de mon projet.

— « Au profil adéquat » ? Je ne suis pas certaine de comprendre…

— Êtes-vous toujours autant sur la défensive ?

— Et vous, Monsieur Jones, êtes-vous toujours aussi intrusif et sans gêne ?

Cette fois-ci, je ris. L’amertume de cette jeune femme m’exaspérait. Mais je devais lui reconnaître un mordant sans pareil.

— Cela vous fait rire ?

— Vous avez du caractère. Cela doit vous être très utile au quotidien.

— C’est peu dire.

— Laissez-moi une petite chance. Il vous suffit de me laisser vous évaluer au travers de plusieurs questions, afin de définir un portrait de votre personne. Je pars ensuite à la recherche du prince charmant pour vous. Mais cela ne vous engage à rien. Je vous soumettrai leur profil, vous choisirez si, oui ou non, vous souhaitez les rencontrer.

Le moteur s’arrêta, laissant enfin place au silence — je le savourai. Mila venait de garer le pick-up le long d’une barrière en bois. Quelques mètres plus loin, j’aperçus quelques cabanes qui semblaient faire office de modestes demeures.

— Vous comptez rester là ou vous me suivez ?

Sans aucune sympathie dans le ton de sa voix, la jeune femme me jeta un regard empli de fierté. Sans répondre, j’ouvris la porte du véhicule pour rejoindre la terre ferme. Intérieurement, je savourai à nouveau l’exquise sensation d’avoir franchi une étape supplémentaire sur le long chemin du succès.

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10 Comments

  1. Le résumé est très tentant 🙂

  2. je découvre votre blog et.. j’adore.

  3. […] cette lecture en toute confiance, pour la raison suivante je venais de lire il y a un mois de ça, « Cupidon Malgré Moi » de Blandine P.Martin et j’ai aimé tout de suite sa façon d’écrire, la narration, le […]

  4. […] Cupidon malgré moi […]

  5. […] Prix ebook : 2,99 € ; Prix papier : 12 € (ISBN : 9791097266080) Genre : romance fantastique Plus d’infos : http://blandinepmartin.fr/cupidon-malgre-moi/ […]

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