CHAPITRE 1

Ma tĂŞte. Cette douleur lancinante. Et cette sonnerie, rĂ©pĂ©titive, aiguĂ«, et insensĂ©e. Tout sembla flou autour de moi lorsque mes paupières se rouvrirent, non sans un effort qui me parut surhumain. Elles Ă©taient lourdes. GonflĂ©es, aussi. Le bip incessant poursuivait son entreprise de dĂ©molition dans mes tympans, mais sa perception devenait plus claire. Un mur carrelĂ© de blanc me faisait face. Soudain, je paniquai, quelque chose gĂŞnait ma respiration. Mon souffle se rĂ©percutait contre une barrière Ă©touffante, humide et chaude. Un masque. Je respirai via un masque ! Je tentai de m’en dĂ©faire d’une main, l’objet devenant trop oppressant, mais quelqu’un intervint. Je relevai les yeux vers ce bourreau : un mĂ©decin au vu de sa tenue. Un hĂ´pital. Comment avais-je atterri ici ? Comment… ?

Mes idées se paralysèrent et ma gorge s’obstrua. Je savais comment. Je refusais de le croire, et pourtant, mon corps endolori gisait sur ce lit médical. Je découvris plusieurs infirmières s’agitant tout autour de moi. Et ce bip-bip, bien que ralenti désormais, poursuivait sa mélodie dramatique et lancinante.

— N’essayez pas de l’enlever, Madame. Respirez calmement, tout va bien se passer.

Je luttai contre la main de cette femme en blouse blanche. Son teint hâlé et ses yeux noirs contrastaient avec la blancheur immaculée de tout le reste. Je tentai de rester consciente, mais je sentais au fond de moi que c’était perdu d’avance.

— Elle repart, Docteur !

Ce fut les derniers mots qui me parvinrent. Une seconde plus tard, ma vue se brouilla, mon cœur ralentit, et je retrouvai la douceur du néant.

* * *

Quelques heures plus tard.

— Madame Cooper, je sais que vous m’entendez. Nous allons avoir besoin de vous pour la suite. Je sais que ce n’est pas facile. Mais c’est la seule manière de mettre un terme Ă  tout ceci.

La respiration difficile, je m’étais recroquevillĂ©e sur le cĂ´tĂ© le moins douloureux dans l’unique but de tourner le dos Ă  mon visiteur. Cette femme semblait bien connaĂ®tre le sujet, mais qu’importait. C’était trop tard pour moi, quoi qu’elle fasse, cela ne changerait rien. Personne ne pouvait  plus m’aider, pas mĂŞme moi. L’assistante sociale que l’on m’avait envoyĂ©e tenta un dernier essai.

— Il faut dĂ©poser une plainte, Madame Cooper. C’est l’unique façon de l’empĂŞcher de recommencer. 

Entre deux sanglots silencieux, je ris, amère, à bout. Non sans peine, je me tortillai pour regarder mon interlocutrice, droit dans les yeux. Mes côtes endolories me coupèrent le souffle un instant, je grimaçai, mais ne dis rien. La pire douleur n’était pas celle subie par mon corps.

— Vous voulez m’aider, vraiment ? lui lançai-je le regard plein de dĂ©fi. Étouffez-moi ! 

La quinquagĂ©naire en tailleur me dĂ©visagea horrifiĂ©e. Je ne lâchai pas son regard, souhaitant lui faire comprendre une bonne fois pour toutes qu’il n’y avait plus personne Ă  sauver dans cette pièce. Je lus un sentiment de peur, derrière les carreaux Ă©pais de ses lunettes. La compassion ou la pitiĂ© firent elles aussi leur apparition. Je grimaçai, dĂ©goĂ»tĂ©e par ce monde dont je ne voulais plus. D’une voix presque maternelle, l’assistance me jeta un regard empli de tristesse. VoilĂ  qui me faisait une belle jambe. 

— Madame Cooper, nous avons un centre qui serait prĂŞt Ă  vous accueillir. Une place est sur le point de se libĂ©rer…

— Quand ? la coupai-je.

— Dans deux semaines, Madame.

Je ris. Je dus serrer mes cĂ´tes tant elles me blessaient. J’avais envie de pleurer, de crier et de me diriger vers cette fenĂŞtre pour finir en beautĂ©, par un saut de l’ange qui rĂ©sumerait Ă  merveille l’histoire de ma vie. Mais je ne pouvais pas bouger. Ă€ cause de lui. Et de toute façon, les soigneurs interviendraient avant que je n’atteigne ces barreaux. Je voulus me gratter le front, mais ma main se confronta Ă  une compresse ; je m’estomaquai. Restait-il une seule parcelle de mon corps non recouverte de plaies, de bleus, de fractures ressoudĂ©es ou non ? Ă€ quoi bon rĂ©parer un jouet que l’enfant briserait Ă  nouveau, maintes et maintes fois ? 

— Deux semaines, murmurai-je, lointaine.

— C’est tout ce que j’ai à l’heure actuelle. En attendant, je peux réserver cette place pour vous…

— Inutile, la coupai-je. Ă€ ce rythme, il n’y aura plus de Madame Cooper d’ici lĂ . Laissez donc la place Ă  quelqu’un dont la longĂ©vitĂ© s’annonce meilleure.

Ma remarque la fit taire dĂ©finitivement. Cette pauvre femme ne faisait lĂ  que son mĂ©tier, elle tentait de m’aider, mais le système ne l’aidait pas, elle, Ă  faire les choses comme il faudrait. Le système n’aidait personne, certainement pas ceux qui en avaient le plus besoin. C’était ainsi depuis toujours, et rien ne viendrait changer la donne. C’était l’histoire de ma vie, en y repensant. J’avais toujours Ă©tĂ© en dehors des limites, trop originale pour les cases, trop diffĂ©rente pour y rentrer, et tant qu’à faire, toujours prĂ©sente au mauvais endroit, au mauvais moment. Chacune des rencontres faites depuis dix ans n’avait Ă©tĂ© qu’un des nombreux maillons me poussant inexorablement vers cette fin, sombre et inĂ©luctable. L’effet papillon, ironique et funeste, le rire moqueur d’un destin qui ne voulait pas de moi, voilĂ  comment le mot « système Â» rĂ©sonnait en moi. 

— Je suis désolée, Madame Cooper, souffla-t-elle en toute humilité. Je laisse ma carte sur votre chevet, il y a mon numéro dessus. C’est un numéro gratuit. N’hésitez pas à me contacter si vous changez d’avis.

Je hochai la tĂŞte par politesse, mais j’étais dĂ©jĂ  loin. Je ne la regardai mĂŞme pas quitter ma pièce, me laissant seule avec une infirmière qui surveillait mes constantes et les rapportait dans un dossier. Je soupirai, lasse, fatiguĂ©e de ce cirque interminable. 

— Vous ne souhaitez toujours pas que l’on contacte quelqu’un ? me demanda-t-elle d’une voix caressante.

Je dĂ©clinai, silencieuse. Qui pouvais-je bien prĂ©venir ? Cliff avait pris soin d’éloigner de moi ce qu’il restait de ma famille au cours des huit annĂ©es passĂ©es ensemble. J’avais coupĂ© tous liens avec mon père, rendue idiote par l’amour que je portais Ă  cet homme, trop jeune et trop naĂŻve. Je ne l’avais pas mĂŞme conviĂ© Ă  notre mariage. Nous avions fait cela en cachette, emportĂ©s par une fougue dont je peine aujourd’hui Ă  me souvenir. Depuis qu’il avait appris la nouvelle, six ans plus tĂ´t, il refusait tout contact avec moi. Ma mère nous avait quittĂ©s lorsque je n’étais qu’une enfant, dĂ©cimĂ©e par un foutu cancer dĂ©tectĂ© bien trop tard. Mon jeune frère, Xander, s’était enrĂ´lĂ© dans l’armĂ©e des États-Unis d’AmĂ©rique lors de son vingtième anniversaire. Il passait dĂ©sormais le plus clair de son temps en mission Ă  l’étranger. Et je prĂ©fĂ©rais le garder loin de mes ennuis, de ma vie, et de Cliff. C’était ma manière de le protĂ©ger de tout ça. La seule chose que je pouvais encore contrĂ´ler dans mon existence : assurer mon rĂ´le de sĹ“ur aĂ®nĂ©e en lui interdisant d’entrer dans ma vie.

L’infirmière quitta elle aussi les lieux après m’avoir indiquĂ© le bouton qu’il me suffisait d’activer en cas de besoin. 

Je me retrouvais enfin seule. Seule face Ă  moi-mĂŞme, face Ă  la rĂ©alitĂ© dramatique qui se jouait. Il me tuait Ă  petit feu, et je n’avais aucune issue. Celui que j’avais autrefois aimĂ© de toutes mes forces devenait dĂ©sormais mon poison le plus mortel. Non content de diriger ma vie, il s’apprĂŞtait aussi Ă  dĂ©cider de ma mort. Par chance, je ne l’avais pas vu depuis mon arrivĂ©e. De toute manière, je ne me rappelais pas de celle-ci. Souvent, je m’étais demandĂ© comment nous en Ă©tions arrivĂ©s lĂ . Je ne dĂ©tenais pas la rĂ©ponse. Un Ă©vĂ©nement en entraĂ®nant un autre, j’imaginai qu’une sĂ©rie de choix et de consentements Ă©taient Ă  l’origine de cette chute vertigineuse. MariĂ©s très jeunes, emportĂ©s par le dĂ©sir de vivre ensemble, nous avions tout prĂ©cipitĂ©. Cliff venait de reprendre l’entreprise familiale dans le bâtiment, et je l’aimais plus que de raison, comme toute jeune fille face Ă  son premier amour. Je me voyais traverser le monde Ă  ses cĂ´tĂ©s, affronter la vie d’adulte, porter ses enfants et vieillir Ă  ses cĂ´tĂ©s. Et Ă  cette Ă©poque, je crois que lui aussi partageait cet espoir. Cela semblait si loin dĂ©sormais. La vie nous avait changĂ©s, faisant de mon Ă©poux l’ombre de lui-mĂŞme, et de moi, son ombre Ă  lui. Faible face Ă  l’alcool, Cliff avait sombrĂ© rapidement. J’avais tout tentĂ© pour le faire dĂ©crocher. Mais sans volontĂ© de sa part, c’était peine perdue. Et l’effroyable se passa. Pour un mot de travers il m’octroya sa première gifle, violente et prĂ©mĂ©ditĂ©e. Je pardonnai. Une fois, deux fois. Puis cela devint plus rĂ©gulier. Toujours ce pardon, amoureuse en dĂ©pit de tout, Ă©prise d’une relation toxique, mais dont je ne parvenais pas Ă  m’échapper. La rĂŞveuse enfouie au fond de moi espĂ©rait encore qu’un jour les choses reprendraient une tournure normale, que tout redeviendrat « comme avant Â». Mais ce n’était que des foutaises. Le « comme avant Â» n’avait aucun sens. Personne ne faisait marche arrière, pas lorsque le vice devenait vital, plus encore que les sentiments. Chaque lendemain, il s’excusait, et me promettait qu’il changerait. Et cela marcha un temps, me laissant entrevoir une issue possible, un avenir plus doux. Mais lorsque son addiction lui fit perdre l’entreprise familiale, mon destin bascula avec le sien. Une chute assez lente pour me laisser le temps d’en admirer les consĂ©quences, mais suffisamment rapide pour que je ne puisse m’agripper Ă  rien pour me retenir.

Quelqu’un passa la porte de ma chambre, et je sursautai. Un mĂ©decin s’approcha de moi. Je reconnus le visage hâlĂ© de ma sauveuse. Un sourire tendre sur des joues marquĂ©es par le temps, elle se prĂ©senta :

— Madame Cooper, bonjour. Je suis le Docteur Sanchez. 

— Bonjour, dis-je. Et merci…

Elle saisit le calepin mis à jour quelques minutes plus tôt par l’infirmière, et le lut attentivement. Elle le referma d’un coup, et le rangea sous sa manche, m’observant longuement.

— Bon. Commençons par le dĂ©but. Vous souvenez-vous de votre arrivĂ©e dans mon service, ce matin ?

Je niais.

— Bien. Je vais vous l’expliquer, donc. Le service des urgences a reçu un appel des pompiers. Une jeune femme avait dévalé l’escalier de sa maison. Elle était inconsciente.

Ma mâchoire se serrait.

— L’homme ayant appelĂ©, votre mari, a parlĂ© d’un accident. 

Je ne dis rien. Que pouvais-je ajouter ? Mettre un nom sur ce qui se tramait ? Il faudrait ensuite que je tĂ©moigne devant la police, et je ne m’en sentais pas la force. Autant me jeter dans une fosse aux lions. OĂą que j’aille, Cliff me retrouverait. Et tĂ´t ou tard, il me ferait payer mes paroles.

— Madame Cooper, nous savons toutes les deux qu’il ne s’agit pas d’une vulgaire chute. Il suffit de reprendre votre dossier mĂ©dical… personne n’est maladroit au point d’accumuler autant « d’accidents Â». 

— OĂą est mon mari ? la coupai-je.

— Il n’a pas souhaitĂ© venir dans l’ambulance. Je pense qu’il cherchait Ă  se protĂ©ger… vu les circonstances.

Je ne répondis rien. Le docteur poursuivit.

— Vous avez eu de la chance, si je peux me permettre. Quelques cĂ´tes fĂŞlĂ©es, un poignet cassĂ©, le reste n’étant que des hĂ©matomes et quelques plaies superficielles. Cela aurait pu ĂŞtre bien pire.

Elle plongea ses iris noirs vers moi, attendant un geste de ma part, un mot qui traduirait une demande d’aide de ma part. Mais je ne fis rien. Je lus la déception sur son visage durant quelques secondes.

— Madame Cooper, je sais que vous avez refusĂ© l’offre de l’assistante sociale… J’aurais peut-ĂŞtre une solution qui vous conviendrait mieux, vu l’urgence que reprĂ©sente votre situation.

Je dĂ©tournai le regard, dĂ©sabusĂ©e. 

— Une solution ? lâchai-je, amère.

Le docteur approuva de la tĂŞte. 

— Seriez-vous prĂŞte Ă  l’entendre ?

— Dites toujours. Dans tous les cas, si je rentre chez moi, vous savez ce qui se passera. Dans le meilleur des cas, l’échĂ©ance sera simplement repoussĂ©e. Mais tĂ´t ou tard, vous n’aurez plus besoin de m’aider…

Ma remarque fit mouche, une fois de plus. Je ne m’en sentais pas dĂ©solĂ©e. Je n’avais plus la force de prĂ©tendre que tout allait bien. J’étais coincĂ©e. 

— Bien. Je vais contacter la personne qui gère cet endroit. Il me semble qu’il lui reste une place. 

— Un centre d’accueil ?

— Un cadre familial.

Je ne comprenais pas où elle voulait en venir, mais qu’avais-je à perdre ? Le temps passé en sa compagnie équivalait à du temps en moins passé avec Cliff. L’hôpital devenait un refuge où, le temps de quelques examens, on me promettait le seul endroit où je ne risquais plus rien. Je respirai, doucement, calmement. Le docteur me sourit poliment et quitta la pièce en pianotant son bipeur.


CHAPITRE 2

Lorsque la porte de la petite chambre se rouvrit, un jeune homme au pas dynamique franchit le seuil. Les cheveux châtains coupés courts surplombés d’un épi naturel, des traits fins, un nez légèrement retroussé, il arborait une tenue verte, signe qu’il s’agissait d’un d’infirmier. Le sourire en coin, il ne semblait pas le moins du monde apitoyé sur mon sort. Pourtant, les bleus et les plaies, clairement visibles sur la blancheur naturelle de ma peau, ne laissaient aucune place au doute. Il avait sous le bras le dossier emporté par le médecin. Il le lut brièvement.

— Bonjour… Amy. Amy Cooper.

Il savait donc lire. Fantastique. L’infirmier releva ses prunelles sombres vers moi, il rejoignit la chaise juxtaposée à mon lit.

— Salut, je suis Zach Widmore.

L’intonation dĂ©sinvolte de sa voix m’étonnait. Bien que j’apprĂ©ciai de ne pas ĂŞtre regardĂ©e avec pitiĂ©, le contraste entre son attitude dĂ©contractĂ©e et la gravitĂ© de la situation me dĂ©stabilisait. Trouvait-il cela amusant ?

— Comme vous pouvez le voir, je ne suis ici qu’un humble infirmier, mais je ne viens pas pour vos soins. Le Docteur Sanchez m’a parlĂ© de votre cas.

— De mon cas, rĂ©pĂ©tai-je, vexĂ©e par le peu de considĂ©ration dont ces mots faisaient preuve. 

Mon interlocuteur approuva d’un hochement de tête.

— Oui, Amy, votre cas, votre situation si le terme vous paraĂ®t plus… humain. Bref. J’ai peut-ĂŞtre une solution qui vous permettrait de vous mettre Ă  l’abri dès votre sortie de l’hĂ´pital.

— Vous cachez donc une baguette magique, Zach ? Le piquai-je, sans illusion aucune.

Ma remarque engendra un sourire en coin chez mon interlocuteur. Il en fallait plus pour lui Ă´ter sa bonne humeur.

— Non, j’ai mieux que ça. En rĂ©alitĂ©, je suis propriĂ©taire du HP, glissa-t-il Ă©nigmatique.

Il s’interrompit, et je m’impatientai. 

— Et c’est Ă  ce moment-lĂ  que je suis censĂ©e vous demander ce qu’est le « HP Â» ?

Fier de sa démarche que je trouvai infantilisante, il acquiesça.

— S’il s’agit de l’abrĂ©viation pour hĂ´pital psychiatrique, oubliez cette idĂ©e, je n’ai rien Ă  faire dans ce genre d’établissement…

— Rien Ă  voir, me coupa ce fameux Zach. HP signifie Happiness Palace. 

— Happiness Palace, rĂ©pĂ©tai-je, incrĂ©dule. Ça sonne comme un Parc Disney pour des tĂ©moins de JĂ©hovah… PitiĂ©, pas de thĂ©rapie par le rire…

Il accueillit ma rĂ©ponse avec humour. Lorsqu’il reprit son sĂ©rieux, il m’apporta plus de prĂ©cisions concernant sa solution miracle en laquelle je ne croyais pas. 

— Pour faire simple, j’ai eu la chance d’hĂ©riter d’une immense demeure. Et avant d’être infirmier ici, ma vie n’avait rien de glorieux… inutile de s’éterniser sur le passĂ©. Toujours est-il que j’ai souhaitĂ© aider ceux qui en avaient besoin, de la mĂŞme manière que l’on m’a aidĂ© moi. 

— Un infirmier au grand cĹ“ur… 

— Je ne sais pas si j’ai un grand cĹ“ur, mais vous, Amy, je vous trouve bien acerbe. Je ne peux pas vous en blâmer. Nous sommes sept Ă  vivre dans cette immense maison. On s’entraide, et on apprend Ă  refaire surface, ensemble. Chacun a son propre passĂ©, ses propres douleurs Ă  effacer. L’amitiĂ© et le soutien que l’on s’apporte nous permet de sortir des dĂ©combres. 

— Ă‡a semble joli comme rĂŞve…

Zach ne releva pas cette énième remarque.

— L’une d’entre nous vient de nous laisser, ayant rĂ©ussi Ă  reprendre une vie normale, et loin de Black River. Une chambre vient donc de se libĂ©rer. Et vu l’urgence qui est la vĂ´tre, je me permets de vous proposer cette place vacante.

Je restai muette, incertaine.

— Une vie en collectivité… ?

— Oui. Personne ne connaĂ®t l’adresse de la maison hormis les services sociaux et administratifs, le Dr. Sanchez et moi. Vous y serez donc en sĂ©curitĂ©, et par-dessus tout, vous ne serez plus seule. 

Soudain, le doute s’empara de moi. Pouvais-je encore espĂ©rer m’en sortir ? N’était-ce pas lĂ  une Ă©nième dĂ©ception Ă  venir ? Je le dĂ©taillai, hĂ©sitante. Il semblait sincère, et il inspirait confiance — si tant Ă©tait que je puisse encore avoir confiance en quelqu’un. Il m’était recommandĂ© par le mĂ©decin qui m’avait sauvĂ© la vie. Un gage de droiture, donc. 

— Pourquoi voudriez-vous m’aider ?

Je ne comprenais pas. Comment une si belle opportunitĂ© avait pu se frayer un chemin jusqu’à moi ? La vie avait pris l’habitude de me jouer de sales tours ces dernières annĂ©es. Je craignais qu’une telle occasion, bien qu’attrayante de prime abord, ne cache quelque chose de dangereux pour ma vie.

— Parce que si je ne le fais pas, qui le fera ?

Sa réponse m’interloqua.

— Vous ne pouvez pas guĂ©rir toute la misère de la planète.

— Non, mais je peux vous aider, vous. Alors, je vous tends une main. Ă€ vous de voir si vous l’acceptez ou non.

Je dĂ©glutis. Cette proposition tombait comme par magie. Au moment oĂą ma vie me semblait fichue, elle arborait la lumière d’un miracle. Trop souvent déçue par le destin, je n’osai y croire. 

— Il… il me suivra. Un jour ou l’autre, il se vengera….

— Pas s’il ne sait pas où vous chercher. D’ici là, vous aurez suffisamment repris confiance en la vie pour porter plainte, Amy.

— C’est étrange, vous semblez parler en connaissance de cause.

— Sans doute parce que l’une des nôtres a connu le même genre de situation. June.

Il gagna encore plus d’attention de ma part avec ces derniers propos.

— Et cette « June Â», s’en sort elle ?

— De mieux en mieux. Le temps fait bien les choses, et s’il y a bien un élément qui l’aide plus que tout, c’est le soutien que lui confère notre petit groupe d’amis soudés.

Son regard traduisait d’une franchise Ă  toute Ă©preuve. J’en fus dĂ©concertĂ©e. Le parcours de cette « June Â» autorisait des espoirs trop longtemps enfouis.

— Je ne peux pas rentrer chez moi. Mais j’y ai toutes mes affaires…

— On se chargera de ça plus tard. Faites-nous confiance.

Je ne comprenais pas de quelle manière il prévoyait d’agir mais son ton ne laissait aucun doute planer. Ses certitudes me persuadaient doucement.

— Je n’ai pas d’argent, pas de boulot, pas de…

Il leva une main pour m’interrompre.

— Comme je vous disais, on est tous passĂ© par lĂ . Il faut commencer par rĂ©apprendre Ă  vivre et reprendre confiance. Ensuite on envisagera une recherche d’emploi, et vous ne serez pas seule. 

— Mais qui paie pour tout ça ? 

— Je prends en charge une partie.

Face Ă  ma mine incrĂ©dule, il crut bon de prĂ©ciser :

— J’ai eu la chance de bĂ©nĂ©ficier rĂ©cemment d’un important hĂ©ritage. Ceux qui travaillent aident aussi en fonction de leurs possibilitĂ©s. On vit comme un groupe, l’intĂ©rĂŞt commun avant le reste.

J’en restai bouche-bĂ©e. Était-ce bien un rĂŞve qu’il me vendait ?

— Le Happiness Palace, c’est un passage temporaire, le temps que les choses reprennent leur cours normal, le temps que chacun parvienne Ă  se sortir de ses problèmes, chasse ses vieux dĂ©mons. Le jour oĂą l’on se sent prĂŞt, on reprend son envol.

Je restai mĂ©dusĂ©e. Ce serait mentir que de dire que je n’avais pas envie de tenter le coup. S’il n’existait qu’une seule chance de trouver une issue meilleure Ă  celle qui m’attendait entre les mains de Cliff, j’étais prĂŞte Ă  la saisir. Son argument de poids ? Ne plus ĂŞtre seule. Me sentir en sĂ©curitĂ©. Les bleus et les hĂ©matomes s’effaceraient avec le temps, mes cĂ´tes se ressouderaient. Mais les traces indĂ©lĂ©biles ancrĂ©es dans ma tĂŞte, dans mon cĹ“ur, dans mon âme, elles, nĂ©cessiteraient bien plus de soins, et surtout, beaucoup d’aide. J’hĂ©sitai, puis murmurai :

— Si j’accepte, c’est quoi la suite ?

Un sourire ravi s’empara du menton carré de mon interlocuteur.

— DĂ©jĂ , on se tutoie, ce sera plus simple. On est de la mĂŞme gĂ©nĂ©ration, autant Ă©viter de se vieillir mutuellement avec trop de manières, plaisanta-t-il. Ensuite, tu signes une dĂ©charge pour autoriser ta sortie. L’unique condition est un rapport dĂ©taillĂ©  au docteur Sanchez sur l’évolution de tes blessures, toutes les vingt-quatre heures, pendant trois jours, puis de façon plus espacĂ©e. C’est par simple mesure de sĂ©curitĂ©. Ensuite, dès que je termine mon service, vers dix-sept heures si tout va bien, je t’accompagne au HP pour te prĂ©senter au groupe. Tu seras dans ton nouveau chez toi.

Tout cela me paraissait surrĂ©aliste. Un ange avait-il finalement dĂ©cidĂ© de conjurer le sort me concernant ? 

— En gros, t’es une sorte de mère ThĂ©rĂ©sa ?

Zach explosa de rire et nia d’un geste de la main.

— Non, je n’ai rien d’une nonne, et je n’ai certainement pas la prĂ©tention de lui arriver Ă  la cheville. J’essaie juste de faire de mon mieux. Si je peux aider, autant le faire non ?

Autant de gĂ©nĂ©rositĂ© impliquait inĂ©vitablement beaucoup de mĂ©fiance. Dans le monde actuel oĂą l’intĂ©rĂŞt individuel primait, il devenait de plus en plus difficile de croire qu’un ĂŞtre humain puisse s’avĂ©rer bon envers les autres, dĂ©sintĂ©ressĂ©. Quel autre choix avais-je que de tenter l’aventure ? C’était ça, au risque de me faire avoir, ou la mort certaine, sous les coups de mon mari …

— OK, finis-je par chuchoter.

— Parfait ! entonna Zach, visiblement heureux de ma dĂ©cision. Il te reste quelques heures avant qu’on parte. Repose-toi. Ton corps en a besoin. Je me charge du reste.

Je le regardai s’éloigner de son pas nonchalant. Son allure sautillante me fit sourire, lorsque mes côtes me rappelèrent aussitôt à l’ordre. La vie m’offrait une revanche et je comptais bien la saisir. In-extremis.


CHAPITRE 3

Le Docteur Sanchez me regarda partir, le sourire aux lèvres. Dans ses yeux, j’avais l’impression d’être un oisillon prenant son envol. Un oisillon blessĂ©. Cette femme aurait sans doute ma gratitude pour le temps qu’il me restait Ă  vivre. Le prĂ©nommĂ© Zach me soutenait d’un bras, et, doucement, nous gagnâmes l’ascenseur de l’hĂ´pital, puis le parking. Il m’aida Ă  m’installer Ă  bord d’une Jeep noire. Durant tout le trajet, il me laissa profiter du silence, comprenant sans doute que je n’étais pas prĂŞte Ă  discuter de la pluie et du beau temps comme si de rien n’était. Sage dĂ©cision. Je regardais le paysage dĂ©filer. La petite ville de Black River, Ă  l’est de la Pennsylvanie, sa verdure, son square bordĂ© de barrières blanches en bois, sa large rivière oĂą les bateaux de plaisance aimaient flâner, ses commerces locaux, ses bâtiments, tĂ©moins d’une Ă©poque coloniale pourtant loin maintenant, ses rues animĂ©es, ni trop, ni trop peu. Il faisait bon y vivre autrefois. Quand la vie ne m’en demandait pas tant ; pas tant d’efforts pour survivre. Car tel Ă©tait le cas dĂ©sormais. Je m’accrochais au peu qu’il me restait, en essayant tant bien que mal de ne pas sombrer. Parfois, comme ce matin, le poids attachĂ© Ă  ma cheville pesait trop lourd et m’entraĂ®nait avec lui dans les abysses. Une main tendue m’avait sorti la tĂŞte de l’eau, juste assez longtemps pour que je puisse reprendre un peu d’air avant la prochaine noyade. Mais je savais en mon fort intĂ©rieur, que si prochaine fois il y avait, alors ce serait la dernière. 

Lorsque mon nouvel alliĂ© gara le vĂ©hicule le long d’une petite allĂ©e pavĂ©e de pierres grises, je relevai le regard. Face Ă  nous, une immense demeure de bois blanc trĂ´nait en maĂ®tresse des lieux, entourĂ©e de peupliers et de saules pleureurs. Ses larges fenĂŞtres donnaient directement sur la rivière, et en me retournant, je dĂ©couvris mĂŞme un petit ponton s’avancer au-dessus de l’eau. Je restai bouche bĂ©e. Certes, il fallait un immense bâtiment pour loger autant de personnes, mais le constater de visu Ă©tait autre chose. 

— Bienvenue chez toi, me glissa Zach, visiblement amusĂ© par ma rĂ©action.

J’ouvris la portière en grimaçant, mes côtes me rappelaient qu’elles n’allaient pas bien. Non sans mal, je rejoignis le sol et mon chauffeur se précipita pour m’aider.

— Ă‰vite de forcer si tu ne veux pas revenir faire un sĂ©jour Ă  l’hĂ´pital.

Il me guida jusqu’à la porte d’entrĂ©e. Juste au-dessus, une pancarte en bois brut m’accueillit : dans une multitude de couleurs acidulĂ©es, les mots « Happiness Palace Â» Ă©taient sculptĂ©s. Une invitation au bonheur, cela ne se refusait pas. Aucune clĂ© ne fut nĂ©cessaire, c’était ouvert. Une certaine apprĂ©hension m’emplit. J’allais devoir intĂ©grer un groupe dĂ©jĂ  constituĂ©, et bien que je fusse d’ordinaire avenante, mon Ă©tat n’allait pas me faciliter la tâche. J’espĂ©rais surtout qu’ils comprendraient mon besoin impĂ©rieux de m’isoler, et qu’ils ne se montreraient pas trop envahissants pour ce qui Ă©tait de ma vie privĂ©e. Je n’étais plus en mesure d’accorder facilement ma confiance, et encore moins de me lier d’amitiĂ©. Il me faudrait beaucoup de temps. VoilĂ  l’unique remède qui m’aiderait. J’inspirai profondĂ©ment.

Nous entrâmes dans une immense cuisine, où une table infiniment longue occupait l’espace. Au fond, quelques plans de travail en carreaux de céramique colorés, un évier double, un large frigo chromé, un congélateur tout aussi imposant, un piano de cuisson, un micro-ondes et quelques autres petits appareils.

— C’est le grand luxe, murmurai-je face Ă  cette première pièce.

— Disons qu’on a tout ce qu’il faut, oui.

Il contemplait lui aussi ses acquis, pas peu fier. Je ne savais rien de lui, hormis le fait qu’il en avait bavé pour en arriver là, selon ses propres dires.

— Ne bouge pas, me glissa-t-il, tandis que je m’asseyais pĂ©niblement dans une chaise en bout de table.

Je l’entendis hurler depuis la pièce voisine. 

— AllĂ´ ! RĂ©union !

Un frisson me parcourut. Nous y étions. J’allais rencontrer mes futurs colocataires.

Zach revint à la cuisine, un large sourire enfantin hissé haut. Bras croisés, il attendit quelques secondes et un vacarme sourd de bois craquant résonna dans la maison. Un escalier. Plusieurs personnes.

— Tous ne sont pas lĂ , m’indiqua Zach, mais on va dĂ©jĂ  te prĂ©senter Ă  la plus grande partie d’entre eux.

Une jeune femme passa la porte de la cuisine, intriguĂ©e par ma prĂ©sence. Elle portait les cheveux noirs au carrĂ©, les traits de son visage indiquant des racines asiatiques. Une jolie fille, svelte et dynamique, d’environ mon âge, je prĂ©sumais. Elle prit place sur l’une des chaises de droites. BientĂ´t, deux garçons nous rejoignirent, un grand maigrichon blond avec des Ă©lastiques un peu partout dans sa tignasse bouclĂ©e, l’air hagard, et un plus petit, plus trapu et brun. Un sportif, sans doute. Tous deux s’installèrent sur la gauche, interrogeant le propriĂ©taire du regard. Enfin, une autre fille dĂ©barqua : une longue chevelure flamboyante, sauvage et bouclĂ©e, son teint de porcelaine Ă©tait parsemĂ© de taches de rousseur qui lui confĂ©raient un air tendre. Elle me sourit, incrĂ©dule, et s’assit près de sa colocataire brune.

— Bien, lança Zach, debout en face de moi, Ă  l’autre bout de la table. 

Il frappa dans ses mains pour attirer notre attention.

— Il ne manque que Marcus, il travaille Ă  cette heure, je crois, glissa-t-il en observant brièvement sa montre. Laissez-moi vous prĂ©senter Amy, qui va nous rejoindre au HP.

Tous échangèrent un regard enjoué mais surpris. Zach n’avait donc pas préparé le terrain. J’étais la nouveauté de dernière minute. Youpi. Moi qui détestais me retrouver au centre de l’attention, c’était raté pour le coup.

— Bonjour, osai-je, la voix fĂ©brile. 

Je tentai un sourire mais le stress le rendit incertain.

— Salut, me lança alors la jolie brune, d’un ton Ă©nergique. Bienvenue chez toi, Amy. Je m’appelle Soko. 

J’acquiesçai de la tête, touchée par son accueil chaleureux. Mon visage marqué par les coups ne fut la cible d’aucun jugement dans son regard, ce qui me permit de me relâcher un peu.

— Moi c’est June, me lança sa voisine, les prunelles emplies de curiositĂ©.

— Salut, rĂ©pondis-je poliment.

Le grand blond se prĂ©senta Ă  son tour :

— Je suis Dennis, bienvenue parmi nous, Amy.

— Merci.

Le petit brun intervint :

— Et moi, c’est Nate.

Je hochai la tête, tentant de retenir chaque prénom prononcé et le visage qui s’y associait, mais rien ne garantissait que j’y parvienne. Bien trop épuisée, et encore sous le choc de la situation, l’étourdie que j’étais aurait sans doute tout oublié demain.

Zach reprit finalement la parole, captant aussitôt l’attention du petit groupe.

— Amy sort tout juste de l’hĂ´pital, elle a besoin de repos. Ce serait sympa de lui laisser un peu de temps pour reprendre des forces et dĂ©couvrir la maison avant de l’accabler de questions.

— Tu peux compter sur nous, lui rĂ©pondit Soko avec un clin d’œil. Je vais aller prĂ©parer ta chambre.

Le regard qu’elle m’offrit aurait pu être celui d’une amie de longue date. Sa gentillesse me surprit, mais son sourire ne mentait pas. J’appréciai le geste et la remerciai.

— Super, poursuivit Zach. Comme ça tu seras libre de te reposer un peu et faire comme bon te semble. On te fera visiter les lieux quand tu te sentiras mieux, et on t’expliquera les grandes lignes de notre fonctionnement. Il y a quelques règles de base, c’est essentiel pour que la vie de groupe se passe de la meilleure manière possible.

— Oui, j’imagine, soufflai-je, dĂ©jĂ  lointaine.

— Allez, viens, m’appela Soko, je vais te montrer ta chambre.

Je me relevai pĂ©niblement, et Zach accourut pour me soutenir. J’apprĂ©ciai le fait qu’il n’ait pas Ă©talĂ© les dĂ©tails de ma situation aux yeux de tous. C’était trop tĂ´t, et moi-mĂŞme, je ne savais pas comment aborder la chose. Soko parut surprise du fait que je ne puisse me mouvoir seule mais ne posa aucune question. Nous traversâmes brièvement un gigantesque salon ou trois canapĂ©s et deux fauteuils entouraient un Ă©cran de tĂ©lĂ©. Un billard trĂ´nait un peu plus loin. Le bois Ă©tait de mise, jusqu’aux poutres du plafond, un style rustique et chaleureux qui correspondait parfaitement aux lieux. Une marche, puis une autre, il sembla s’écouler une Ă©ternitĂ© avant que je n’en voie le bout tant mon corps me pesait, douloureux et vidĂ© de ses forces. Un long couloir en L nous attendait, et mes nouveaux amis me dirigèrent vers la troisième porte, tout au bout de la première allĂ©e. Je pĂ©nĂ©trai au sein d’une chambre toute simple, baignant dans une harmonie de beige et de blanc doucement rĂ©chauffĂ©e par le soleil couchant qui donnait depuis la fenĂŞtre. Surprise, je dĂ©couvris la magnifique vue sur la rivière et le petit ponton de bois. Un immense lit et deux petits chevets en chĂŞne, fidèles Ă  l’esprit brut de la demeure. 

— C’est parfait, dĂ©clarai-je, gagnĂ©e par l’émotion.

Soko se chargea de trouver des taies d’oreillers, puis elle et Zach m’observèrent, aux petits soins.

— Si tu as besoin de quoi que ce soit, il y a toujours quelqu’un dans la maison, me glissa le propriĂ©taire.

— Ma chambre est juste sur ta gauche, ajouta Soko, n’hĂ©site surtout pas. Au dĂ©but, c’est assez Ă©trange de se retrouver ici. Mais on s’y fait vite. Et crois-moi, on s’y sent bien ! 

Je souris face à sa remarque. Je perçus sa volonté de me changer les idées, et cette attention me toucha beaucoup.

— Merci. Merci pour tout ça.

— Mais de rien, me répondit Zach. On te laisse. Rejoins-nous quand tu le souhaites. Si tu as faim, on a ce qu’il faut en bas. Avec tes côtes, les escaliers ne sont pas conseillés, mais tu demandes et on viendra t’aider. C’est comme ça que tout fonctionne ici, tu verras. Tu as une salle de bain juste là.

J’observai la direction montrĂ©e par son index et dĂ©couvrais une salle d’eau attenante, du grand luxe ! 

— Bien, c’est notĂ©, murmurai-je, encore sous le coup de toutes ces nouveautĂ©s.

Mes deux amis quittèrent la pièce et refermèrent la porte derrière eux, tandis que je m’approchai de la fenêtre, observant les dernières lueurs orangées qui caressaient l’étendue céleste. C’était étrange comme tout pouvait basculer en quelques heures. Je me tenais là, juste devant cette fenêtre, et tout ce que je souhaitais, c’était rejoindre l’épais matelas pour profiter d’un repos nécessaire. Plus de saut en vue. Plus la force de toute façon. La nuit portait conseil. Et bien qu’il fût risqué de croire en un bref espoir, je m’y autorisai, juste une ultime fois, sachant pertinemment qu’il s’agirait-là de ma dernière chance. Je me devais de la saisir, ne serait-ce que par égard pour ces anges gardiens tombés du ciel. Je le leur devais.