Je n’ai pas allumé la lumière.
La pénombre m’engloutit, seul le mince halo filtré par les volets entrouverts dessine des ombres sur le plafond. Les draps collent à ma peau, trop lourds, trop présents. Mon esprit tourne en boucle, incapable de se taire.
J’ai arrêté de compter les heures.
Derrière les murs de l’Académie, la nuit a perdu son sens. L’insomnie, elle, n’a pas besoin d’horloge pour exister. J’ai essayé la musique. J’ai laissé défiler une playlist sur mon téléphone, j’ai même fredonné quelques notes, mais rien n’y fait. Le silence, lui, refuse de s’éteindre.
Je devrais être soulagée d’être ici. D’avoir enfin intégré une école digne de ce nom.
Mais je n’arrive pas à me détendre.
Ça fait trois ans. Trois ans que je suis en dehors du système scolaire. Trois ans que je fuis les couloirs, les salles bondées, les discussions à voix basse qui s’arrêtent quand je passe. Pourtant, aujourd’hui, je suis là. Je devrais être passée à autre chose, non ?
J’expire lentement, les yeux fixés sur le plafond.
Mais ce n’est pas aussi simple.
Ici, personne ne sait.
Ici, je suis Ambre, l’élève en chant, l’ombre discrète dans la salle de cours, celle qui gratte parfois des notes dans un carnet et qui baisse les yeux quand les autres rient trop fort.
Ici, je peux exister autrement.
Mais alors pourquoi j’ai encore cette sensation d’être sur le fil, de marcher sur une corde raide, d’attendre le moment où quelqu’un reconnaîtra ce que j’essaie d’enterrer ?
Un bruit sourd résonne dans le couloir. Une porte qui se ferme. Je retiens mon souffle, tend l’oreille.
Probablement une autre insomniaque. Je ne suis pas la seule à porter mes ombres, après tout.
Je repousse les draps d’un geste, attrape mon carnet sur la table de nuit et le presse contre ma poitrine.
Si je n’arrive pas à dormir, autant écrire.
Poser les mots, au moins ici, là où personne ne pourra les déformer.
Là où je reste Ambre. Rien d’autre.
